Mexico-Bruxelles-Montréal : Partie 1

Dialogue sur les brutalités policières entre Rhita et Sanah à l’occasion de la marche d’ouverture du FSM 2022

Par Rhita Harim et Sanah Gharbi, membres du Collectif international de la jeunesse francophone au FSM 2022

1e mai 2022, 12h30, le soleil tape sur la ville de Mexico. Chaleur, musique et tambours sont au rendez-vous et nous marchons vers la Plaza del Zócalo. Au milieu de la marée rouge militante qui s’est rassemblée à l’occasion de la marche d’ouverture du Forum social mondial (FSM) 2022, se distinguent quelques drapeaux marocains qui attirent notre attention. Toutes les deux d’origine marocaine au sein de cette délégation de la jeunesse francophone (Québec-France-Belgique) au FSM, nous avons envie d’en apprendre un peu plus sur nos réalités respectives. Ce moment altermondialiste incontournable qu’est le FSM nous permet donc d’ouvrir un dialogue sur les réalités vécues par les diasporas marocaines en Belgique et au Québec, tout en déambulant dans les rues de Mexico pour construire les autres mondes possibles !

Rhita : Dis Sanah, est-ce qu’il y a une grande diaspora marocaine en Belgique ? 

Sanah : Oui, elle est assez conséquente. Dans l’histoire migratoire, à cause de la guerre d’Algérie, les Algériens ont été principalement en France, et les Marocains ont été appelés par la Belgique pour travailler… Rien qu’à Bruxelles, il y a un peu plus de 300 000 Belges issus de l’immigration marocaine.

Rhita : Ah oui?  Et est-ce que ces Marocains sont dispersés sur le territoire ou ils occupent des quartiers en particulier ? 

Sanah : En fait, Bruxelles est divisée en 19 communes (19 quartiers) et oui dans certains de ces quartiers, tu retrouves une majorité marocaine. Il y a le fameux quartier de Molenbeek qui est majoritairement constitué de Belges issus de l’immigration marocaine. Cela s’explique par le fait qu’historiquement, les travailleurs marocains ont été essentiellement réunis sur ce territoire. C’est un quartier où tu vas retrouver toutes sortes de problématiques liées aux injustices socio-économiques, aux discriminations et au racisme…

Rhita : Ah je comprends. Et le profilage racial est-il présent ?

Sanah : Oui, c’est une réalité pour de nombreux jeunes issus de l’immigration, marocaine ou autres. J’ai moi-même grandi dans une cité et je me faisais souvent contrôler, et même parfois plusieurs fois durant la même journée, et par les mêmes policiers ! 

Rhita : Mais pourquoi ils vous contrôlent ? Est-ce qu’ils ont des motifs de croire ou de soupçonner qu’une infraction a été commise ? 

Sanah : Pas forcément, ils contrôlent pour contrôler et toujours dans les quartiers populaires. Ça ne se passe pas dans les quartiers plus riches de Bruxelles.

Rhita : C’est étrange. À ma connaissance, au Québec, les policiers ont le droit d’interpeller arbitrairement ou de demander à une personne qui conduit un véhicule de s’identifier, mais uniquement dans le cadre de leurs pouvoirs qu’ils détiennent en vertu du code de la sécurité routière. Sinon, les passagers ou encore les piétons n’ont aucune obligation de s’identifier à un policier, à moins que ces derniers aient un motif raisonnable de croire qu’une infraction a été commise.

Sanah : oui c’est vrai, tu as raison sur ce point, c’est juste compliqué de faire valoir ses droits en pleins milieux d’un contrôle… c’est la peur des conséquences… Certains disent qu’il est possible de changer les choses. Moi je pense que l’institution de la police ne peut pas être réformée. Certains ont essayé mais c’est un échec à chaque fois. Je pense que c’est un système qui doit être reconstruit à la base… il y a trop de gens en son sein, dans les têtes dirigeantes qui véhiculent des idées et des valeurs qui ne peuvent pas perdurer. 

Rhita : Oui je comprends. C’est difficile de croire qu’une institution comme la police, qui repose depuis des années sur la « force et l’ordre », pourrait du jour au lendemain adopter une position moins « répressive » et plus « préventive » voire « communautaire ». En plus, il y a au sein de la police une fraternité qu’on ne pourra jamais ébranler, et j’irais même jusqu’à dire qu’il s’agit d’une sorte de groupe qui se renforce mutuellement dans ses préjugés et qui légitime le profilage non seulement criminel, mais surtout racial. 

Sanah : oui clairement, c’est difficile aujourd’hui de lutter contre le système policier. Lorsqu’on veut porter plainte contre la police, il faut le faire à la police. Si on a de la chance, la plainte va être considérée recevable et sera analysée par le « Comité P », la Police de la Police qui est constitué de policiers… la Police qui doit donc juger la police… à mon sens, il y a un étrange conflit d'intérêt… 

Je pense aussi que c’est une réalité, cet endoctrinement lors de la formation des policiers. J’ai l’impression que c’est du lavage de cerveau. J’ai 2 amis qui sont entrés dans la police. Le premier a effectué quelques mois de formation et a fait ses premières patrouilles avec ses collègues. Quelques temps après, j’ai été boire un verre avec lui. Je lui ai demandé comment il se sentait moralement dans son équipe. Il m’explique une situation qu’il a mal vécu avec ses collègues : ils étaient en patrouilles et là, il y a eu un contrôle de sans-papiers. Ils en ont immobilisé un et ont commencé à le taper. Ils ont regardé mon ami et lui ont dit que c’était à son tour … au début il a refusé sur le ton de l’humour puis après quelques pressions de ses collègues, il s’est lancé… nous n’avons plus de contact depuis lors…

Mon 2ème ami m’a expliqué le racisme qu’il subissait dans son équipe, avec des remarques et des propos racistes tous les jours. Il m’a dit que c’était super difficile de dénoncer cela de l’intérieur. C’est dangereux et tu risques d’être mal vu par tes collègues. Si tu es mal vu, l’engrenage du harcèlement peut commencer.

Rhita : Waw! C’est vraiment triste de savoir que même si ces policiers sont issus de la diversité, ils ferment les yeux et ils légitiment et banalisent l’utilisation de la violence… voir même l’encourage. C’est comme en 2020, lorsque j’ai malheureusement visionné la vidéo du meurtre de George Floyd (oui, c’est bien un meurtre!), c’était frustrant de voir les policiers autour qui n’avaient aucunes réactions, aucunes réflexions. Il n’y en a pas un qui s’est dit : « ah, peut être que de mettre le genou sur le coup d’un homme qui cri à l’aide et qui dit ne pas pouvoir respirer pourra potentiellement le tuer! ». 

Sanah : C’est vrai. Et justement au Québec, comment s’est répercuté cet évènement considérant la proximité que vous avez avec les États-Unis ? 

Rhita : Il y a eu une grande vague de mobilisation, de dénonciations et la population a été beaucoup plus conscientisée sur l’enjeu. Mais si nous allions manger ? Je pourrai te raconter tout cela demain. 

À suivre…

FSM2022Guest User