Texte jeunesse (par Ruthbec Laau-Trépanier du Collectif jeunesse K! en France 2024) : Viol mouillé
Article rédigé par Ruthbec Laau-Trépanier dans le cadre du collectif jeunesse K ! en France 2024
En assistant à une projection intitulée « Agir ensemble pour un développement durable », je ne m'attendais pas à en apprendre davantage sur les violences basées sur le genre. Étant moi-même une fervente féministe et environnementaliste, j’étais pleinement consciente des injustices genrées auxquelles sont confrontées les femmes dans le cadre des changements climatiques.
En effet, le genre, ainsi que l'âge, la richesse, la classe et les (in)capacités influencent l'expérience du changement climatique et des catastrophes climatiques, souvent en rendant les femmes plus vulnérables puisqu’elles représentent 70 % des personnes vivant sous le seuil de la pauvreté dans le monde (Lewis Nancy D. 2016). Lors de catastrophes climatiques, les femmes ont des taux de mortalité plus élevés que les hommes. Cela s'explique en partie par le fait que les femmes ont un accès limité aux ressources, aux biens financiers, à la propriété foncière, à l'éducation et à d'autres droits. De plus, dans les situations post-catastrophes, les risques de violence physique, émotionnelle, domestique et d'autres dangers liés à l'état précaire de réfugié augmentent.
Il est bien connu que les changements climatiques contribuent à perpétuer les inégalités de genre existantes. Toutefois, j’ignorais que l’inaccessibilité à l’eau et à l’assainissement exposait également les femmes aux violences sexuelles. J’avais toujours étudié l’accès à l'eau salubre et à l'assainissement comme l’un des 17 objectifs de développement durable des Nations Unies dans le cadre de mes cours en environnement, sans jamais aborder la question du viol.
Le film intitulé “Zoom sur Madagascar : Agir ensemble pour un développement durable” et réalisé dans la commune rurale de Sahambavy à Madagascar explique les difficultés vécues par une jeune fille avant l’arrivée de l’eau dans sa commune ainsi que les bénéfices de son implantation. Une des facilitatrices mentionne qu’en raison de l'inaccessibilité à des installations d’assainissement, les femmes étaient obligées de déféquer à l’air libre, ce qui les exposait au viol. J’ai dû lever la main pour demander la relation de cause à effet. Elle m’expliqua que les femmes dans les milieux sans assainissement devaient se retenir toute la journée pour aller aux toilettes, puis chercher un lieu d’intimité dehors la nuit, où les hommes les attendaient à ce moment de vulnérabilité pour les violer. Le moins que l'on puisse dire, c’est que j’étais choquée par cette découverte.
Une autre facilitatrice mentionna qu’il en était de même en ce qui concerne l’inaccessibilité à l’eau. En effet, les femmes ont le fardeau de recueillir de l’eau loin et seules, ce qui les expose au même danger. De plus, le film expliquait comment l’eau récupérée des rizières devait être bouillie très longtemps pour la rendre potable. La forêt étant rasée afin de faire du charbon de bois, cela crée un cercle vicieux puisque la coupe de la forêt se fait sans considération de régénération. Cela cause l’érosion des sols, empêchant la rétention d’eau, et donc l'accès à l'eau. L’inaccessibilité à l’eau et à l’assainissement cause donc non seulement des violences sexuelles, mais aussi un grave préjudice environnemental.
À la dernière session, j’ai suivi un cours intitulé “Ending Sexual Violence” dans lequel on apprenait l’importance du concept d’“accountability” du violeur ainsi que le rôle que la communauté a à jouer en termes de justice réparatrice. Puisqu’il y avait des enfants dans la foule et que j’avais déjà posé plusieurs questions, je n’ai pas osé creuser sur le sujet. Cependant, je me demande encore comment il se fait que les hommes puissent profiter de cette vulnérabilité chez les femmes pour les violer à leur guise dans de petites communautés rurales sans représailles, du moins sociales.
La façon dont les facilitatrices répondaient laissait entendre que la solution à ces violences basées sur le genre était l’accessibilité aux installations d’eau et d’assainissement. Cependant, l’enjeu est tout autre, car l’accès aux toilettes pour les femmes n’empêche pas les hommes de désirer violer et de passer à l'acte. Comme le mentionne si bien Emma [l’illustratrice de cette œuvre collective], il ne faut pas victimiser la survivante, car la faute demeure dans l’autre camp. À travers mes cours en études féministes, nous étudions principalement les violences sexuelles en Occident et nous arrivons généralement comme solution aux justices alternatives basées sur la bienveillance des parties. Sauf que ce film m’a d’autant plus bouleversée puisqu’il me crache au visage que si les hommes sont prêts à se donner autant de mal pour violer, c’est qu’ils prennent rationnellement la décision d’être cruels. En bref, cet échange a alimenté mon sentiment d’impuissance et de désespoir pour l’humanité.
Ruthbec Laau-Trépanier